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Né quelque part


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Panel on African Literature at AFREECulturelintroduced by Meryanne Loom Martin at Jnane Tamsna

Interrogée par Augustin Trapenard dans l’émission Boomerang sur France Inter, il y a quelques semaines, la chanteuse allemande et nigérienne, Ayo, que j’ai eu la chance de recevoir au Centre Culturel du Lycée Français de New York, disait : « Je n’ai pas de chez moi, mais je suis chez moi un peu partout. Ma maison est intérieure. » Sa maison, c’est aussi sa famille, et il suffisait de la voir avec ses enfants pour comprendre que cette intimité naturelle était son domicile fixe. Où sommes-nous chez nous ?  A quel pays, quel lieu appartenons-nous, nous qui sommes expatriés ou immigrés, vocabulaire changeant suivant la couleur de notre peau, comme le soulignait avec justesse l’écrivaine Chika Unigwe, elle aussi binationale nigérienne et hollandaise, et co-animatrice des journées AFREEculture organisées en marge de la foire d’art contemporain 1-54, à Jnane Tamsna, Marrakech ? C’est une question fondamentale et récurrente lorsque l’on fait le choix de quitter son pays natal, d’autant plus troublante lorsque cet exil est dicté par la politique. Pour moi, quitter la France, m’installer aux Etats-Unis, devenir américaine, le cœur tantôt ici tantôt là, est une décision de la première heure – partir en Amérique étudier le journalisme que l’on appelait avec respect l’investigative reporting, départ corroboré par les circonstances de la vie puisque par la suite j’y ai suivi mon mari, et mes enfants sont ainsi devenus bi-nationaux. Je me souviens de ces premiers voyages transatlantiques douloureux prenant conscience que le pays que je quittais me manquait déjà, et qu’il me serait désormais impossible de vivre sans l’un ou sans l’autre, qu’il me faudrait deux passeports pour être une. Where is HOME ? Ce mot étroit de quatre lettres et deux syllabes, qui tient sur un tapis de bienvenu, terme intraduisible, immortalisé par Spielberg dans E.T., était le sujet de la discussion passionnante menée entre écrivains africains dans le cadre d’ AFREE Culture.«  La vie est un pèlerinage. C’est ce que je ressens quand l’avion décolle. « Home » c’est pour moi le lounge impersonnel des aéroports, surtout celui de Naïrobi » a dit pour sa part l’écrivaine kenyane Yvonne Adhiambo Owuor, auteur de la Mer des Libellules (2019), qui nous invite à regarder la terre de la mer pour faire de l’océan fluide et insaisissable notre vrai domicile. Il y a ceux qui, sûrs de leur territoire, le défendent becs et ongles, dont on peut questionner la légitimité.  Etre né quelque part chantait Maxime le Forestier en1988. Ce quelque part « n’est-il pas plutôt intérieur ? » a demandé la journaliste et spécialiste de littérature africaine, Violaine Binet, faisant écho sans le savoir, aux propos d’Ayo. N’y aurait-il que des moments de reconnaissance comme le souligne Yvonne, en d’autres termes, pas de définition commune de l’appartenance mais des compréhensions individuelles ? Pourtant les lois nous obligent à définir notre territorialité : Où payons-nous nos impôts, ouvrons-nous nos comptes en banques, et exerçons-nous notre droit de vote, si droit il y a ? Cette question ouverte et riche du HOME, à peine formulée semble obsolète, car la nouvelle génération, connectée avec le monde depuis l’enfance, et ignorante des frontières historiques voire de l’histoire, ne se la posera sans doute pas.

 

 

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Eloge du temps long 


Philippe Lançon, auteur du livre Le Lambeau, victime de l’attentat de Charlie Hebdo, n’aime pas les médias sociaux. Au risque de lui déplaire, je partagerai ce blog post sur facebook, linkedIn ou twitter, car on écrit pour être lu, c’est un fait. Et sans un allié comme Gallimard, il faut faire un certain tapage promotionnel pour alerter les lecteurs. C’est ce tapage que Philippe Lançon, en visite à New York avec des conférences à Albertine et NYU  notamment,  n’aime pas: alertes sonores des messages reçus sur telegram ou sur facebook qui nous détournent du moment présent, mais aussi et surtout cacophonie intérieure qui nous éloigne de nous-mêmes. Il suffit de lire Le Lambeau pour comprendre. Ayant passé des mois à l’hôpital pour y subir sept opérations sur ses maxillaires arrachées par une bombe, l’auteur a eu l’expérience de cet autre temps, ce temps long qui oblige à être face à soi-même. Il y a chez lui un retrait perceptible que l’on ressent l’espace d’une rencontre. On se dit qu’il a, présente à l’esprit, en filigrane, cette vie volée entre quatre murs blancs dont son livre nous livre un compte rendu au plus proche, nous permettant d’imaginer cette expérience hospitalière dont nous, les bien portants, sommes exclus. 

Retrouver le silence intérieur, éteindre le portable, l’ordinateur, l’Ipad, faire une pause pour taire le vacarme… l’écrivain Ian McEwan, écouté dans Boomerang (France Inter), ne dit pas autre chose “ Il faut se réapproprier la solitude”. “Il faut savoir retrouver un espace mental qui est le nôtre uniquement” . Il évoque un “état de stupeur volontaire” qui pourrait sauver l’humanité, et conseille une retraite d’une heure par jour face à soi-même. Pas facile dans ce monde où s’entrechoquent les cris de colère de l’Impeachment ou des incendies en Australie, les cris d’effroi devant les  génocides (malheureusement en sourdine), les cris de panique qui montent en puissance face au virus. Plus près de chez moi, il y a le bruissement de la campagne pour les élections consulaires du 16 mai prochain dans laquelle je me lance avec passion, mais qui oblige, c’est évident, à monter le volume sonore des messageries instantanées et des retours d’opinion. On ne s’entend plus!

Merci à Philippe Lançon pour cette remise en perspective de l’espace temps; merci à Ian Mc Ewan pour ce conseil judicieux. Et si les écrivains, grâce à ce temps long de la lecture qu’ils nous offrent, étaient seuls capables de sauver le monde? 

 

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